La perte du ment
Je ne suis pas le premier à le remarquer, mais une tendance existe depuis quelques années, que je pourrais nommer, si j’étais linguiste et avais donc le droit de créer un mot nouveau et hermétique à chaque découverte, l’adjectivation ou la désadverbalisation.
Simplement, on utilise un adjectif avec un sens d’adverbe.
Les deux exemples les plus flagrants et fréquents sont ‘grave’ et ‘sérieux’.
Une façon certaine de simplifier, de raccourcir (le principe d’économie est un des moteurs de toute langue, même si en étudiant le français, on pourrait en douter).
Plutôt que de dire ‘tu parles sérieusement ?’, le concis ‘sérieux ?’ suffit.
Grave quant à lui ne remplace pas que ‘gravement’ mais peut se substituer à ‘beaucoup’, ‘fortement’, ‘vraiment’…
Il y en a certain(ement) d’autres, qui m’échappent à l’instant.
Richesse de création bien sûr mais aussi appauvrissement, car ce ‘ment’ n’existe pas pour rien. C’est vrai qu’il n’est pas très beau et alourdit souvent les mots, mais la nuance est quand même général(ement) importante entre l’adverbe et l’adjectif. Dois-je rappeler que l’adjectif qualifie un nom, alors que l’adverbe porte, si, si sur le verbe, l’action quoi, et plus global(ement) la phrase entière ?
En entendant ces mots amputés de leurs ment(bres), je me suis demandé ce que donnerait la généralisation d’une telle pratique.
Vive dimanche, dirait Drucker.
T’es d’accord avec moi ? Absolu ! Evident ! Carré !
J’ai encore perdu mes clés ! Décidé ! T’as pas de chance, vrai !
Un whisky ? Un doigt, seul.
Et, si le virus se propageait, que, dans l’ignorance de la nature des mots, certains ôtaient leurs ment à des noms ou adjectifs ? C’est déjà le cas, avec la radio ‘le mouv’.
J’ai mis plus beaux vêtes, mais il me manque un élé pour le mo. C’est dé !
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